Damel Zenati, l’activiste politique et ancien détenu des évènements de 1980, a réagi au discours du vice-ministre de la Défense, le général major Ahmed Gaïd Salah
Le choix du passage en force se précise. Le chef d’état-major vient d’ordonner au président intérimaire de convoquer le corps électoral. Bensalah va de toute évidence obtempérer. Peut-il en être autrement ? Cet injonction vient confirmer, si besoin est, une réalité établie depuis déjà fort longtemps : le pouvoir en Algérie est entre les mains du commandement militaire.
C’est un secret de polichinelle diriez-vous. Et bien non. Certains esprits généralement bien avertis soutenaient le contraire tout récemment. Á l’exemple de Ammar Belhimer qui, dans un échange avec l’éminent sociologue Lahouari Addi, écrivait il y a seulement deux jours : « L’armée accompagne le processus sans prendre directement partie à la gestion politique directe des choses ». Rien que ça. Puisse cette sortie du chef d’état-major parvenir à arracher à leur égarement ces esprits généralement bien avertis.
J’en doute.
Car les choses sont bien plus compliquées et plus perverses. Certaines élites, gravitant à la périphérie du système en état de réserve, sont indifférentes aux situations. Seule importe l’opportunité. Qui pour assouvir une vengeance, qui pour prendre une revanche sur la passé, qui pour réparer une offense subie, bref, les frustrés sont nombreux. D’autres, par peur des représailles ou par souci de durer ou les deux, se rangent. Ils le font aussi par habitude. Car ils ne savent pas soutenir sans se courber ni objecter sans se cacher. Tout ce beau monde applaudit le maître et voit en lui l’homme de la situation. Mais de quelle situation s’agit-il ? Ils ne disent rien.
N’ont-ils pas vu les dizaines de millions de citoyennes et citoyens en mouvement depuis maintenant plus de six mois en dépit des aléas, des appâts et des embuches ? N’ont-ils pas encore saisi le sens profond de cette mobilisation inédite par son ampleur, son caractère pacifique et sa détermination inébranlable ? Elle a pourtant forcé l’admiration de la planète entière.
Le citoyen algérien est extraordinaire. Aux difficultés il oppose la résistance et le sacrifice. Face aux provocations il choisit la sagesse et la sérénité. Et aux grossières manipulations il répond par l’humour fin et la dérision.
Cette dynamique populaire doit être regardée comme une chance pour le pays. Elle est porteuse d’une grande ambition. De toutes les manifestations, il se dégage une disponibilité collective à relever les défis et à vaincre les fatalités. Pourquoi voir la main de l’étranger là où s’exprime la volonté d’un peuple et le génie de sa jeunesse ? Pourquoi invoquer la théorie du complot là où s’affirme une Algérie consciente, digne et forte ? Pourquoi avoir peur de l’aspiration à la liberté et à la grandeur ?
Une seule raison explique l’entêtement des décideurs : le mépris du peuple. Ils refusent d’admettre l’idée selon laquelle le peuple est le principe premier, le fondement de tout. Aucune institution, aussi puissante soit-elle, ne peut exister en dehors du peuple et encore moins contre le peuple.
Le rendez-vous électoral que le commandement militaire veut imposer est la pire des options pour le pays. Organiser une élection sans électeurs participe de la volonté de prolonger une tutelle insensée. Le peuple exige le droit à disposer de son destin. Le temps des tutelles est révolu. Il est vain de vouloir réinventer le régime des années 70.
Une seule et unique solution : le transfert de souveraineté. Cela ne peut se faire sans un processus constituant. La rue a tranché. Nul n’est en mesure de contester le choix populaire.
Le commandement militaire doit se mettre au diapason de la société en accompagnant cette grande œuvre historique. Il en sortira grandi. L’intransigeance mène à l’affrontement.