«Je suis de la race des guerriers. Ils peuvent me tuer mais ils ne me feront jamais taire. Je préfère mourir pour mes idées que de lassitude ou de vieillesse.» L.M
L’artiste est l’âme de sa culture. Plus il la sert, plus, elle touche le monde. Plus son peuple la porte, plus, elle perce l’universel. Ce processus concerne tous les arts. Mais, il y a des arts qui vont plus loin et en profondeur. Ces arts sont produits et portés par des artistes engagés. Ils combinent talent et engagement. Ces artistes, très souvent solitaires et dépourvus de moyens, se construisent loin des pouvoirs, construisent du sens et surtout, déconstruisent les postulats de l’ordre établi. Tout un combat à mener et tout un défi à relever en une courte vie parsemée d’embûches et d’incompréhensions. Certains d’entre eux avaient connu la gloire et la reconnaissance en leur vivant. D’autres, leur société et même l’humanité n’avaient réalisé l’importance de leur génie qu’après leur mort. Quel gâchis pour la personne, mais quel honneur pour son héritage malgré tout!
Matoub Lounès incarnait ce genre d’artistes dévoués à leur art et à leur cause. Plus, il avançait dans l’âge, plus, il étonnait son peuple et ses détracteurs par le degrés de son talent, de sa maturité artistique et de ses engagements politiques. Ses œuvres sont sublimes. Ses positions politiques sont claires et fièrement assumées. Dès son jeune âge, Matoub rejetait l’ordre établi à l’école d’abord et en dehors de l’école ensuite. Il avait chanté sa langue, sa culture, son identité, la femme, les artistes inspirants. Il avait dénoncé les pouvoirs, l’hypocrisie des partis politiques, les intégristes et les baathistes. Il avait surtout dissocié l’identité de la religion. D’un côté, il avait défendu le droit d’être ou de ne pas être croyant. D’un autre côté, il avait précisé que l’Algérie est un pays amazigh tout en respectant les langues parlées par le peuple algérien dans sa diversité.
Assassiné un 25 juin 1998, Matoub Lounès continue à être adulé par les siens et à déranger les ennemis de la Kabylie et de l’Amazighité. Ces derniers temps, il y a même une nouvelle génération d’Algériens qui découvre son génie et commence à saisir ses multiples messages dédiés aux libertés individuelles et collectives dans un État de droit. Son peuple doit continuer à revendiquer la vérité sur son assassinat. Il doit bien ça à l’artiste, à sa famille, à la justice et à l’histoire. Les criminels doivent être jugés. Il y va de la santé citoyenne de la société.
Matoub Lounès avait tellement marqué son époque que ceux et celles qui commémorent son assassinat vivent à chaque fois un déchirement voire un dilemme. Devrait-ils pleurer sa mort en ce 25 juin 2019 ou chanter et danser au rythme de ses chants et de ses idéaux? Les œuvres de Matoub sont tellement écoutées, étudiées, analysées et même reprises que ses fans ont encore du mal à réaliser qu’il était mort. C’est à se questionner sur la véritable signification de la mort dans ce cas de figure.
Matoub Lounès est toujours vivant. La preuve, des millions de Matoub portent son œuvre et son combat dans toute l’Afrique du Nord. Le jour où son idéal sera concrétisé, il sera encore plus vivant. Tout un défi pour son peuple. La balle est donc lancée dans le camp des » vivants ».
Djamila. Addar
Montréal, 25 juin 2019