Idir est et sera toujours là, il sera éternel.

Trois ans déjà. Mais nous, on continue à parler de toi comme si c’était juste hier, comme si tu es là parmi nous.

Ton ami Lounis nous dit : Hetsbagh ussan dqiqa tughal d asugas, je lui dirais hetsebgh ussan assuggas yughal d dqiqa. En effet le temps s’égrène vite voire très vite.

Idir, vivre, tu es né pour vivre. Tu es né pour durer. Tu es né pour faire partie de ces éternels absents-présents. Oui, tel aassas bw axxam. On sent ta présence, elle plane dessus de nos têtes, alors on essaie mais en vain de te toucher. Alors on compense et on fait appel à notre ouïe fine qui elle ne se résigne pas, elle entend le son de ta voix, elle vibre au son même très lointain de ton ajewaq. On revit à l’évocation de ton nom d’artiste. Et en ce 3ème printemps nous avons envie de revivre, que dis-je, vivre en compagnie de ta chanson, de ta musique de ce souffle profond, qui provient de notre terre kabyle.

Quand on évoque la vie – tudert, comment ne pas penser à « ay a lxir inu – oh mon bonheur ». La naissance, si merveilleusement décrite, annoncée par ce premier cri du bébé-llufan, sligh illufan yujjaq, ilul di lhara annonciateur de la vie et du bonheur qu’elle procure dans toute la maisonnée. Et tafsut agi tis tlata, nous renvoie aussi à la vie, à cette permanente énergie, à cette force que tu nous envoies et nous transmets pour aller de l’avant, ne jamais s’arrêter. La vie est un éternel recommencement.

Ce nouveau-né, tu ne le lâches pas, tu le poursuis, tu veilles sur lui et tu lui racontes des histoires, timucuha, tu le berces et de quelle fort belle manière. A baba inuba est là pour le mettre sous la protection de sa grand-mère qui lui raconte timucuha n zik nni. On s’imagine tous là à écouter, dans un silence olympien ces belles âmes nous abreuver de leurs contes qui nous plongent dans des rêves infinis que tu as magnifiquement dépeins. Ce que Isiakhem nous offre avec ses couleurs, tu nous l’offre sur un plateau avec des mots et des mélodies. Ssendu est là, souvent comme tu le dis, comme un moment où nos mamans, nos grand-mères se soulagent de leurs peines de leurs fardeaux et nous font oublier cette faim qui creuse nos ventres et nous emportent dans un profond sommeil.

Plus tard, tu l’éveilleras à d’autres contes, d’autres légendes « Tamacahuts n tsekkurt », tu l’éveilleras à l’insouciance de l’adolescence « Hay hay amumi », tu l’initieras à des pratiques d’entraides et de solidarité. C’est Tiwizi mais c’est également « Said U lamara  a bu snat tjellabin» et son sens profond de partage, justice m’ais aussi de solidarité.

Après nous avoir bercés, tu nous as si merveilleusement fais danser sous les airs de « Ay azwaw, zwits rwits » des chansons qui résonnent dans toutes les fêtes kabyles.

A l’âge où les combats doivent être menés, tu le sensibiliseras aux injustices et la première celle que sa culture et sa langue subissent. Tu l’éveilleras à la solidarité avec tous les peuples opprimés. C’est le sens des chansons comme Izumal, Isaggaden ntafat, tamacahuts n t sekkurt.

Cette culture que tu as cultivée dans un esprit de tolérance et de respect de notre diversité, tu as voulu nous la partager à nous kabyles et algériens. C’est ainsi que tu as lancé ton cri du cœur en direction de ton frère « A gma a cawi-mon frère le chawi » pour l’éveiller comme tu nous as éveillés, nous les kabyles à cette culture tamazigh. Pour toi, pour nous, Cawi, mzabs, touaregs, c’est la même cause, la même culture mère, la même langue : amazigh.

Etant bien ancré dans ton terroir et ta terre kabyle, tu ne pouvais trouver mieux à partager avec cet autre pluriel, que ta culture, ta musique, ton œuvre que tu voulais sans frontières. Ton souci de partage, ta permanente envie de donner et de recevoir, tu leur a donné sens dans ton magnifique travail de collaboration d’abord avec des artistes algériens, Khaled et Mami « Ay azwaw, Zwits rwits » entre autres, ensuite avec des artistes aussi grands que Dan ar Braz, Goldman, Le Forestier, Bruel, Aznavour, Cabrel, Grand corps malade, et la liste est encore longue. La France des couleurs, ici est ailleurs, Identités autant d’œuvres qui ont fait de toi, l’ambassadeur attitré de notre culture, de notre langue et de notre identité berbère, kabyle et Algérienne, cette identité algérienne que tu voulais tienne, la nôtre, à part entière et non entièrement à part.

Oui toute ton œuvre est là pour attester de ton universalité et de son caractère éternel. Tu étais là hier ; tu es encore là aujourd’hui, tu le seras demain et tu demeureras éternellement, là, présent en chacun de nous, en chacune de nos demeures, en chaque empan « imi bwucay » de notre chère Kabylie et dans cette Algérie que tu as rêvée enfin débarrassée de ses déments et à jamais réconciliée avec son histoire.

Tu es parti physiquement mais tu restes là présent. Tu es désormais un membre de toutes les familles kabyles. Ton œuvre résonne en écho que le majestueux Djurdjura nous renvoie. Adrar et adrar inu sont là pour témoigner de ton ancrage dans ce patrimoine ancestral que tu n’as jamais cessé de nous transmettre. Tu vas jusqu’à lui attribuer une âme, une vie puisque tu communiques avec lui. Tu le tiens comme témoin majeur de notre histoire « Inid xas inid ma sghur id nefruri- Dis- nous si nous tirons racines de toi ».

Son silence olympien fonctionne comme affirmation de cet enracinement et comme la preuve indéfectible de l’existence millénaire de notre langue, notre culture et de notre identité que nul ne peut nous nier. Nous voulons, tous comme toi, être reconnus comme des algériens à part entière et non des algérien entièrement à part.

Identité que nous n’avons pas à revendiquer car elle est en nous comme le sont en nous le parfum de l’huile d’olive –zit lleqbayel, zzit uzemmur, le parfum de nos figues fraîches ou sèches, cette montagne, les couleurs de la robe et de son amendil awrag.

Oui, Idir nous voulons être fiers de notre Kabylité, de notre Berbèrité et de notre Algérianité.

Salon de Provence le 1 MAI 2023

Arezki KHOUAS